Jimmy PAGE Nombreuses sont les biographies concernant Jimmy Page. Souvent, elles passent rapidement en revue les années antérieures à l'épopée Led Zeppelin. Ce qui semble pourtant contradictoire. Quand un personnage devient historique en redéfinissant les contours d'un avenir proche par la force de son histoire et l'acuité de sa clairvoyance, on serait plutôt enclin à fouiller le moindre détail le concernant. Mais c'est que l'histoire de Jimmy Page est intimement liée à ce groupe, solidement imbriquée à elle. Avant, on s'en fout. Qu'à la date fatidique du 12 janvier 1969, qui vit l'apparition du bombistique " Led Zeppelin 1 " Jimmy Page ait fait partie des Yardbirds aux côtés de Beck, dignes successeurs d'Eric Clapton... c'est bien, mais on s'en fout.
Super, mais on s'en carre. On ne s'en vante pas. Ce qu'on veut, c'est du croustillant à propos de Led Zao. Attention, croustillant ne rime pas avec racoleur. Respect pour le mythe. N'allez pas nous sortir du cradoque pour faire du sensationnel. Pas touche à l'intégrité de ceux qui ont su inventer un nouveau vocabulaire pour le langage du rock et surtout pour ceux qui ont su redéfinir le concept de groupe.
Et c'est là tout le secret. Si toutes les curiosités ne se focalisent que sur le quatuor, c'est qu'avec l'intelligence de Page et les performances de ses lieutenants, l'instrumentiste est devenu musicien. Son rôle devient évident. Le nom de chacun des membres s'associe à un terme nouveau à l'époque : héros. Des Stones, on se souvient tout de suite des grandes gueules comme Keith Richard et Mick Jagger. C'est un réflexe. Savoir qu'il y eut un beau blond aux yeux ravagés (que les yeux ?) du nom de Brîan Jones, c'est déjà être cultivé. Alors savoir que le batteur s'appelle Charlîe Watts et l'ex-bassiste Bill Wyman, c'est s'apparenter à maître Capelo. Des Beatles, on connaît tout le monde, mais on se fout de savoir de quels instruments ils jouent. D'ailleurs, l'important n'est pas là. De belles chansons, d'extraordinaires mélodies, et pis c'est tout. Avec Led Zep, chacun porte un nom, hissé à la force du poignet, du riff du break, de la tension vocale et de l'arrangement. Comme le disait Page le Rusé: « Je suis un musicien, pas un représentant en paillettes. » Alors puisque nous sommes curieux, et puisque l'histoire d'un mythe ne naît pas de la cuisse de Jupiter, creusons un peu plus l'histoire de l'homme par qui tout est arrivé.
Par Jean-Baptiste Méchernane.
GUITAR COLLECTOR'S N 31
C'est au moment où l'Europe voit le bout d'un tunnel obscur que James Patrick Page voit le jour en ce début 1944. Peu importe l'enfance Page la malice, méfiant et peu enclin à se dévoiler, ne lâchera rien sur elle. Du moins, peut-on dire que, comme beaucoup de musiciens de la scène anglaise de l'époque, rien ne le prédestinait à devenir un des plus grands noms de l'histoire de la musique rock. En effet, contrairement aux musiciens prestigieux du jazz, Page n'est pas issu d'une famille mélomane. On ne pratique pas le violon ou le piano à l'heure du tea time chez les Page. « Mais ils ne se sont pas inquiétés de me voir m'investir totalement dans le monde de la musique, je pense qu'ils étaient rassurés à l'idée que l'on pouvait gagner sa vie en travaillant en studio ». Peu étonnant dans ce cadre familial, que le petit James se souvienne parfaitement de son premier choc musical, celui qui précipite les décisions . « J'étais vraiment très excité à l'écoute du rock n roll des débuts, des trucs de Little Richard, des artistes de ce gabarit. J'essayais de capter la radio américaine pour pouvoir entendre de bons disques de rock. Mais le disque qui m'a vraiment poussé à vouloir jouer de la guitare fut « Baby, Let's Play house » d'Elvis Presley. Je suis resté hébété par ces deux guitares et cette basse et je me suis dit : « Ouais, je veux en faire partie de ce monde ». « Il y avait tellement d'énergie et de vitalité dans cet album... » Et c'est à l'âge de quatorze ans qu'il
se procure sa première guitare. Une Grazzioso, une copie de Strat.
Peu de temps après, il se procure une vraie Stratocaster et cette
guitare mythique, la « Black Beautie » de chez Gibson. Il fut d'ailleurs
un des seuls Britanniques à jouer dessus à l'époque. C'est cette
guitare qui l'accompagnera pour toutes ses sessions de studio à
venir.
Pour l'heure, peu de moyens, peu de méthodes pédagogiques expressément rock'n'roll. Système D. On repique ici, on relève un solo là et on fait à sa sauce : « Je ne jouais pas d'un style en particulier. J'écoutais des disques et je jouais pardessus. Je repiquais des pions et j'ai appris à jouer de cette manière. » Un jeu par bribes, ludique, au travers de sérieuses et durables influences: « Scotty Moore, James Burton et Cliff Gallup, le guitariste de Gene Vincent. Plus tard Johnny Meeks, c'étaient là mes influences les plus tenaces jusqu'à ce que je me mette à écouter du blues. » Et le point de départ est là. Le style de Page va se forger à partir du moment où il est fasciné par des pointures du gabarit d'un Elmore James, d'un B.B. King, d'un Muddy Waters. Un style à la croisée du blues et du rock'n'roll. C'est à cette époque qu'il se lie d'amitié avec Jeff Beck par le biais de la sÅ“ur de ce dernier. Ils gratouillent ensemble. En 1961, Jimmy Page, alors âgé de 17 ans, est remarqué par Neil Christian, chanteur des Crusaders. Premier engagement pour le jeune guitariste et non des moindres, puisqu'il goûte aux joies des tournées dans une structure semi professionnelle. Mais le public ne suit pas: « The Crusaders étaient apparus avant les Stones. Nous faisions une musique qui était principalement inspirée par Gene Vincent, Bo Diddley et Muddy Waters. A cette époque, les goûts du public étaient plus influencés par le Top-Ten du moment. Du coup, cela s'apparentait plus à un combat pour imposer notre vision des choses. »
REQUIN ROLL
C'est Pour les jam du jeudi.: « Un soir, un type vient me voir et me demande: " Dis donc, tu ne voudrais pas jouer sur un album ?" Boh, j'ai dit oui. Ça s'était plutôt bien passé. Je serais incapable de me souvenir du titre de ce disque, mais c'est à partir de ce moment que j'ai entamé ma carrière de musicien de studio. » Nous sommes en 1963. Jimmy Page a 19 ans.
« Je faisais jusqu'à trois séances par jour. Une prise pour une musique de film le matin, une séance pour un groupe de rock l'après-midi, et le soir une session pour un group de folk. Je n'arrive toujours pas à m'expliquer comment ceci a pu m'arriver, mais quelle expérience. Le travail de studio m'a appris la discipline et m'a permis de développer différents styles. »
Oublié, le James Patrick Bidule. Il devient à jamais Jimmy Page, et s'il reste dans l'ombre confinée des studios britanniques (à se remplir honorablement les poches), son jeu aiguisé va être immortalisé au fil des séances. La liste fait mal. Dans ses séances les plus prestigieuses, on peut citer le tube Diamonds des anciens Shadows, Jet Harris et Tony Mechan, You Really Got Me des Kinks, 1 can't Explain des Who, Gloria et Baby please Don't Go des Them de Van Morrison ou With A Little Help For My Friends version Joe Cocker. Bref, plus d'une centaine de séances. C'est que le petit bonhomme aiguise une intelligence fine qui le caractérisera tout au long de sa carrière. En l'occurrence, il tire profit de l'émergence des groupes pop au milieu des années soixante. Une flopée de stars en devenir, plus ou moins expérimentées qui, investissement des producteurs oblige, entraîna une forte demande de musiciens aguerris et solides. En 1964, son expérience est plus que riche, son portefeuille plus que plein, mais son enthousiasme plus qu'entamé. « C'était un travail assez oppressant. Il était rare d'avoir des contacts avec les artistes que l'on accompagnait, et cela me donnait l'impression d'être un ordinateur plutôt qu'un guitariste. Participer à des séances avec d'autres groupes aurait dû être excitant, mais ce n'était pas le cas. » D'autant qu'avec l'expansion du son Stax, le fameux label américain de rhythm'n'blues basé à Memphis, le rôle du guitariste se trouvait de plus en plus limité: « Stax commençait à dicter son Son. D'où une subite importance de la section cuivre et des trucs orchestraux. Du coup la guitare se résumait à un riff par-ci, ou un accord par-là. Je n'avais pas réalisé à quel point cette influence musicale avait été néfaste pour moi, à quel point j'étais rouillé, jusqu'à cette séance pour un morceau de rock en France, que j'avais un mal de chien à jouer. C'est là que je me suis définitivement décidé à cesser cette carrière. » Pour l'anecdote, cette séance était commandée pour un morceau de notre Jojo national (Johnny Hallyday, bien sûr).
J'Y VAIS OU J'Y VAIS PAS ?
Pourtant, lorsqu'on lui proposa une première fois d'intégrer les Yardbirds, il refusa, recommandant son vieil ami Jeff Beck, en remplacement d'Eric Clapton qui venait de quitter le groupe en février 1965. Il lui fallait reprendre un break, se reconstituer et, une fois de plus, se ressourcer en travaillant sur sa propre musique. Cela n'allait pas durer bien longtemps. « Je suis finalement allé à un concert
des Yardbirds à Oxford. Ils étaient tous habillés en costumes de
pingouin. Keith relf (le chanteur NDJ) était complètement bourré.
Il hurlait des "fuck you" dans le micro, il s'écroulait
sur la batterie, et je me suis vraiment dit que c'était une grande
nuit anarchiste. C'était un concert vraiment excellent. » S'il a laissé passer sa chance une fois, Page saura saisir la deuxième occasion. En 1966, le bassiste des Yardbirds, Paul Samwell-Smitth, excédé, décida de quitter le navire. « Seulement ils étaient coincés parce qu'ils avaient des engagements, des dates prévues. Alors je leur ai proposé de le remplacer et de me mettre à la basse. » Rapidement, Chris déjà guitariste rythmique des Yardbirds, troqua sa guitare pour la basse et les deux compères de longue date, les deux potes boutonneux qui gratouillaient ensemble dans la chambre de l'un et de l'autre, se retrouvèrent enfin, au sein d'un groupe réputé : Jeff Beck et Jimmy Page. Vous voyez le topo ? L'un à la discipline de fer, formé à l'école des séances de studio, l'autre rock'n'roll, discipliné quand il veut, insolent souvent: « Quand tu te lances dans une perspective de duo de lead guitares jouant des riffs ou des rythmiques, il faut avoir la discipline de jouer exactement la même chose. Il est certainement un des meilleurs guitaristes du monde actuellement, mais à l'époque, il se foutait pas mal du public et du travail discipliné. » En d'autres termes, les tensions tacites creusèrent au burin leur duo. Même si leur duo pouvait ouvrir sur d'excellentes trouvailles harmoniques, qui « contrairement aux Stones, n'étaient pas uniquement basées sur des Fiers, mais aussi sur des solos conjoints », chacun avait des envies de carrière solo. Le premier fut Jeff Beck. En 1967, le ténébreux enregistre un 45 T sous son nom : Hi Ho Silver Lining / Becks Bolero. Malgré quelques guéguerres de paternité, la face B fut bel et bien composée et arrangée par Jimmy Page, qui a participé à son enregistrement en compagnie d'un certain John Baldwin, que Page avait rencontré en 1964 lors d'une séance avec Donovan, et plus connu sous le nom de John Paul Jones. Le batteur ne fut autre que Keith Moon, prestigieux cogneur des Who.
LA GENÈSE DU MYTHE
Les choses vont se précipiter. Les Who sont au bord de la séparation. Keith Moon et le bassiste John Entwistle veulent se faire la malle. Jimmy Page commence à réfléchir sérieusement à l'éventualité de former un groupe sur la base de cet enregistrement. Le calcul est simple. On vire John Paul Jones, et on le remplace par John Entwistle, parce que, faut pas déconner, la rythmique des Who, c'est du solide. Au chant, pourquoi pas Steve Winwood du Spencer Davis Group ou Steve Marriott des Small Faces ?
Pour les autres, c'est après un concert donné par les membres définitifs du Led Zep que Keith, abasourdi par la puissance du combo, aurait affirmé que leur musique était tellement lourde « qu'ils [les musiciens] allaient s'écraser comme un zeppelin de plomb » Quoi qu'il en soit, pour diverses raisons plus ou moins catholiques mais terriblement rock'n'roll (LSD et consorts), Beck se fait virer. Lorsque sort le fameux 45 T de Berck, Page se retrouve aux commandes de Yardbirds moribonds que les leaders finissent par abandonner à l'été 1968. Engagements fermes obligent, Jimmy Page se doit d'honorer une série de concerts à travers l'Europe. Il se décide donc à former un groupe qu'il nommera les New Yardbirds. Il lui faut des musiciens, des musiciens qui tiennent la route, qui soient du même gabarit que sa propre personne. Pas simple. C'est qu'il commence à devenir épais à force de jouer depuis tant d'années. Le petit futé John Paul Jones se place sur l'affaire. Il insiste, fait des roucouleries, lui qui avait purement et simplement failli se faire virer quelques mois plus tôt, au profit du bassiste des Who. Page aurait souhaité s'entourer du chanteur Terry Reid, indisponible pour l'occasion, mais qui proposa un solution nommée Robert Plant. « Lorsque je l'ai auditionné et que je l'ai entendu chanter, je me suis tout suite dit qu'il devait être un type insupportable ou bien qu'il devait être impossible de travailler avec lui, parce qu'il m'avait dit qu'il chantait depuis des années, et que je ne pouvais imaginer aucune autre raison qui justifie qu'il ne soit déjà célèbre. » À ceci près que le fameux Robert Plant, chanteur de Hobbstweedle et de Band Of Joy avait soigneusement évité de foutre les pieds à Londres, si ce n'est pour des concerts occasionnels. Mais que le batteur Robert-les-bons-tuyaux, toujours prêt à rendre service, proposa ceux de son batteur, génie d'entre les génies, dont le jeu fantastique et puissant séduit Page : « ce type avait des castagnettes à la place des pieds.»
L'HISTOIRE EN MOUVEMENT
Ça y est. Les acteurs sont en place. L'histoire peut à présent suivre son cours, en fonction des séismes provoqués par ce quatuor, créé, géré par un seul homme: Jimmy Page. Un homme qui sut, dès son plus jeune age, tirer profit de toutes les expériences qui furent siennes, afin de ne surtout pas en reproduire les erreurs. Si les musiciens de ses débuts luttèrent pour connaître un succès espéré mais à peine effleuré, Page allait amorcer sa bombe au bon moment, avec l'intelligence de ceux qui ont une lecture parfaite et clairvoyante de leur époque. Cream, l'Experiericed d'Hendrix, les Who, les Kinks ont semé la poudre, Page a la boîte d'allumette et saura les craquer au moment le plus opportun. Pendant que les groupes d'amis de lycées ou de quartier s'entredéchiraient et n'avançaient que par à coups, il allait bâtir son combo de toutes pièces, stratégiquement, en choisissant méticuleusement ses lieutenants, tous sortis, à l'exception de Robert Plant, de la dure école du studio. C'est sûrement pour ces raisons que Jack Bruce, leader des Cream de Clapton ne les considérait plus que comme un produit stratégique et non comme une légende. Jalousie ? Peut être qu'avec le temps, il a réalisé qu'il aura été de la chair à canon ayant creusé les tranchées qui permirent à Page et à ses mercenaires d'empocher les galons les plus élevés de la hiérarchie musicale. N'est pas un mythe qui veut. |